Affaire des caricatures
Lettre aux provocateurs des salons parisiens
Je ne me fais le porte-drapeau de personne, surtout que je ne suis ni Français ni Danois !
Mais je constate avec plaisir qu’une majorité d’Occidentaux de Kaboul, hormis quelques pseudo-intellectuels qui ne connaissent de l’Afghanistan que le couloir entre leur bureau et leur chambre, pensent comme moi : la décision de Charlie-Hebdo de publier les caricatures de Mahomet est de la provocation inutile, et surtout dangereuse. Si cette publication entraîne de nouvelles émeutes et de nouveaux morts, elle aura été criminelle.
La liberté d’expression nous est chère à tous, elle fait partie de nos valeurs, de nos principes. Reste à savoir comment défendre au mieux nos principes. Fermeté et intelligence peuvent parfois faire bon ménage.
Si la liberté de la presse est à conquérir ailleurs que dans nos pays gâtés, ce n’est certainement pas en provoquant des troubles, et donc en encourageant les régimes autoritaires à sévir, que l’on aidera ce principe à s’épanouir. Mais mon propos n’est pas là.
Le travail que nous faisons tous dans des pays musulmans ne peut avoir une chance de s’accomplir que dans le respect de nos hôtes et de leurs croyances. Seul un dialogue culturel quotidien, un souci de comprendre l’autre, en tout cas de ne pas le heurter dans sa sensibilité, permet à nous tous – musulmans, chrétiens, athées, etc. – de faire avancer à petits pas ce qui peut l’être : la reconstruction difficile d’un pays cassé, la naissance d’une démocratie, de médias libres… La provocation est le dernier moyen pour avancer. Pire : c’est la meilleure façon de reculer.
Charlie-Hebdo et les autres n’ont aucun courage : on ne meurt pas dans les prétoires européens. Et comme le scandale à bon marché fait vendre, l’irresponsabilité finit par payer.
Chacun sait – surtout les journalistes qui font leur travail – que l’histoire des caricatures a été récupérée par des groupuscules extrémistes pour faire de la basse politique. Un piège grossier dans lequel nos salonards post-chrétiens, dont la dépression est certainement plus forte que les principes, et dont la connaissance de l’Islam doit s’arrêter à Poitiers, ont visiblement plaisir à s’émoustiller.
Il ne s’agit plus de liberté d’expression – celle-ci doit être défendue pied à pied, au jour le jour, et non pas dans un contexte de crise, dans une situation enflammée - mais de combat politique, de diplomatie, de subtilités, de respect de l’autre. Ce ne sont pas nos principes qui sont le plus menacés aujourd’hui, c’est la vie des compatriotes des journalistes de Charlie-Hebdo et plus largement des autres Occidentaux dans les pays musulmans. Que vaut la liberté d’expression d’un cadavre ?
René, de Bruxelles, le 8 février 2006
Voir aussi l'article d'Olivier Roy, dans Le Monde
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Humeur : qui a peur de Kaboul ?
René, internaute nous écrit le 30 janvier 2006 :
« Les questions de sécurité ne sont pas à prendre la légère mais en tant que vieux de la vieille ici, j’ai deux ou trois idées de bon sens à exprimer.
Tout d’abord, quand on regarde simplement les faits (je ne parle ici bien entendu que de Kaboul et je ne parle que des événements révélés) : depuis quatre ans, aucun attentat terroriste n’a visé spécifiquement une cible étrangère civile.
Si une jeune américaine a tragiquement été tuée à Chicken street, le kamikaze en voulait en fait à une patrouille de l’Isaf. L’assassinat d’un Anglais travaillant pour l’Onu était très probablement lié à son activité professionnelle spécifique, et entre donc davantage dans le domaine de la criminalité que du terrorisme. De même, l’enlèvement de l’Italienne Clementina (qui s’est fort heureusement bien terminé), par un gang dont le chef est actuellement sous les barreaux, s’apparente au grand banditisme et non pas à la guerre menée par les Talibans et Al Qaïda contre l’Occident.
Si l’Isaf et la société de sécurité privée Dyncorp ont payé un tribut lourd depuis quatre ans à Kaboul, il faudrait démêler plus précisément ce qui dans les attentats qui les ont frappés – comme dans l’enlèvement de trois employés de l’Onu – fait partie davantage du domaine « politico-militaire » que du pur terrorisme aveugle.
On peut légitimement affirmer que si les Afghans sont traditionnellement des combattants quand l’Histoire leur impose de l’être, ils ont un sens sacré de l’hospitalité des étrangers, et n’ont pas pour habitude de s’en prendre aux civils accueillis sur leur sol. Sans compter que la très grande majorité d’entre eux n’aspirent aujourd’hui qu’à la paix et n’ont aucune animosité envers les forces étrangères présentes pour la bonne cause à Kaboul (et dans le reste du pays).
Kaboul n’est pas la ville la plus sûre du monde. Mais Kaboul est très loin d’être la ville si dangereuse que se complaisent parfois à présenter certains médias et certaines organisations vivant, les uns comme les autres, de l’ «alarmisme» voire du «catastrophisme».
Il y a peut-être eu des vies sauvées grâce à ces alertes parfois excessives, à ces appels à la prudence, une prudence élémentaire qu’il est parfois plus confortable de simplement oublier.
Les rappels sont toujours nécessaires : si certaines mesures de sécurité appliquées par des organisations qui «s’auto-angoissent» et se surprotègent font parfois sourire, il n’y pas de mal à se souvenir que nous sommes ici invités, que nous avons une culture locale forte à respecter, que d’avoir un profil bas est un plus… »
Demain peut-être, malheureusement, un drame, comme cela arrive deux ou trois fois par an, comme cela arrive dans tant de capitales du monde, viendra à nouveau créer ce sentiment d’insécurité, cette plaie qui frappe indistinctement populations afghanes ou étrangères, et qui fait tant de torts à ce que la présence étrangère peut avoir de positif pour Kaboul, cette plaie pour le pays et son avenir. Il faudra alors, à nouveau, jour après jour, rebâtir cette confiance perdue.
René, de Bruxelles
4ème hiver à Kaboul
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